COSTES
Revue de Presse
juin 1997 (1)

"L'art doit etre provocateur et susciter la contreverse"
Blake Ferris
  1. Faut-il mettre Costes en cage?
    (Mehdi Ba-Internet Reporter-juin 1997)
  2. Faut-il fesser Costes?
    (Blake Ferris-juin 1997)

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FAUT-IL METTRE COSTES EN CAGE ?
(Mehdi Ba-Internet Reporter-juin 1997)

L'union des Etudiants Juifs de France poursuit sa croisade contre le racisme sur Internet. Apres avoir porte plainte en 1996 contre neuf providers francais au motif qu'ils permettainet a leurs abonnes d'acceder a des forums ou des sites web revisionnistes, l'association assigne en justice le musicien et performer Costes ainsi que son fournisseur d'hebergement Altern.org.
A l'origine de la plainte de l'uejf, la presence sur le site web de Costes (qui a commence d'emettre en juillet 1996) des paroles de certaines de ses chansons aux titres franchement limites, comme "Blanchette, tapette a bicots", "Les races puent" ou autres "Livrez les blanches aux bicots". Au vu des elucubrations provo-scato de Costes ("Les negres puent du cul, ils s'essuient jamais le cul; les arabes puent de la gueule, il y a plein de merde entre leurs dents en or."), l'association anti-racistes a denonce une "commune provocation au racisme" et, le 8 avril dernier, elle a decide d'attaquer Costes et son prvider Valentin Lacambre, responsable d'Altern.org, devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour avoir cause "un trouble manifestement illicite". Si Costes etait un braillard neo-nazi, l'affaire aurait sans doute parue plus simple. Mais voila que l'animal se pretend braillard anti-raciste... C'est en 1987 que Costes a commence sa carriere d'artiste devergonde. Architecte de profession improvise "star" de l'underground, il commet en dix ans un nombre impressionnant de videos, cassettes et CDs, tout en se produisant aux quatre coins de la France, aux Etats-Unis, au Canada, en hollande, et meme au Japon, ou ses shows "extremes" sont, parait-il, tres apprecies. Accompagne sur scene de demoiselles aussi deshabillees et delurees que lui (Lisa Suckdog, puis Anne Van Der Linden qui illustre ses pochettes), costes s'est fait une specialite de perfs "outrancierement pornographiques" au cours desquelles le public est copieusement pris a parti pour le meilleur et pour le pire. Ses sujets d'inspiration il les puise, dit-il, dans son quotidien : la tele, la ville...et sa vie sexuelle. Mais ce n'est pas au titre de ses frasques sodomites et urophiles que cet apotre de l'exces est aujourd'hui poursuivi en justice : c'est pour les paroles "racistes" de certaines de ses chansons qu'il aurait rendues accessibles au grand public en les reproduisant sur Internet. Acqui depuis peu aux joies du web, costes a immeditement dedie son site a cette affaire, mettant en ligne ses echanges de courrier avec l'uejf. Un forum et une petition ont egalement ete lances, grace auquels il a deja recu pres de deux cents messages de soutien (ou de critique), disponibles sur http://altern.com/costes. Emanant principalement d'internaute connaissant connaissant sa production musicale ou ses spectacles, la plupart des e-mails recus temoignent que les amateurs des "oeuvres" de Costes savent reconnaitre le gout de l'artiste pour la derision : "Dans son laboratoire secret au fond de sa cave, le professeur costes a mis au point un medicament revolutionnaire conre le racisme : il inocule au malade des virus de racisme tellement gerbants que l'organisme dit "non, c'est trop con!". D'autres en revanche n'apprecient pas et le font savoir : "Un copain m'a dit de regarder ce site "pour rigoler". Je ne rigole pas du tout. Se cacher derriere la liberte de l'artiste pour dire les pires horreurs, c'est la plus haute des hypocrisies..." "L'artiste" s'affirme pour sa part anti-raciste (ce que son parcours, les trente-deux lettres de soutien qu'il a recu ainsi que l'ecoute des trois chansons litigieuses semble devoir confirmer) et revendique le droit d'user de la caricature, meme a l'egard de fantasmes racistes. Avant de deposer plainte officiellement, l'uejf, representee par Maitre Stephane Lilti, a demande a Costes et a son provider de couper d'eux-memes les pages visees. C'esr derniers ont refuse : Valentin Lacambre, parce qu'il estime, en tant que fournisseur d'hebergement, ne pas avoir a se substituer au juge ou a l'autorite publique qui seraient charges de reclamer une telle censure; Costes, car il affirme qu'il ne s'agit "en aucun cas de (son) opinion mais de paroles d'une chanson qui ne fait que poser a plat une fantasmagorie qui malheureusement existe". Cela n'a pas convaincu l'uejf qui, apres cette tentative de faire retirer "a l'amiable" les trois pages incriminees, a saisi le jug civil afin d'obtenir "la cessation du trouble d'une extreme gravite provoqie par la mise a disposition publique de messages a caractere raciste sur le reseau de communicationInternet; L'audience a ete fixee au 11 juin et Costes a pris pour avocat Maitre Thierry Levy.
Dans la petite maison ou il habite et enregistre ses oeuvres au bord du canal saint-denis, Costes a consacre toute son energie a preparer sa defense. sirotant son verre de lait, il evoque devant nous sa surprise d'etre attaque en justice par une association anti-raciste. Jamais un seul de ses disques n'avait ete poursuivi auparavant. "Livrez les blanches aux bicots", vise par l'uejf, est sorti en 1989 et Costes a quasiment ecoule les mille exemplaires du CD qu'il avait lui-meme produit. A l'epoque, ce sont des skinsheads qui l'ont persecute au telephone, le menacant de venir saboter ses concerts. Selon Costes, ils lui reprochaient d'etre un "facho degenere".
Au dela du litige opposant deux camps aux vues appremment inconciliables - bien que se reclamant tous deux de l'antiracisme - se pose a nouveau, a travers "l'affaire Costes", la question de la responsabilite des fournisseurs d'acces et d'hebergement au regard des infractions aux lois francaises constatees sur le reseau Internet. En 1996, sur la base d'une plainte deja deposee par l'uejf, neuf providers francais (Calvacom, Eunet, Axone, Oleane, compuserve, Francenet, Internet way, Renater et Imaginet) avaient ete assignes en refere au motif que ces pestataires permettaient a leurs clients d'acceder a des serveurs ou a des messages negationnistes tombant en France sous le coup de la loi Gayssot. Le juge avait alors deboute l'association. Une autre affaire, toujours en instruction, visait en mai 1996 les fournisseurs d'acces Worldnet et Francenet, dont les dirigeants furent mis en examen pour diffusion d'images a caractere pedophile. Valentin Lacambre nous expose la situation que vivent, selon lui, les fournisseurs d'hebergement. : "Il circule une telle quantite d'informations qu'il ne nous ait pas possible d'exercer un controle sur sur le contenu des informations que nous hebergeons. Cela equivaudrait a inredire Internet." Ce dont conviennent d'ailleurs les differents rapporteurs ayant deja planche sur la question des responsabilites civiles et penales de providers qui auraient permis la diffusion sur le resaeu de contenus illicites. Cahcun reconnait que ni les fournisseurs d'acces ni les fournisseurs d'hebergement n'ont a effectuer a priori de controle sur le contenu des messages, sous peine de paralysie du systeme. En revanche, les travaux deja realises prevoient, qu'n cas de recommandation emanant d'une autorite publique, ces prestataires se devraient d'agir en conformite.
Pour le responsable d'Altern.org (qui heberge par ailleurs 1500 sites parmi lesquels les "services d'echanges locaux", la maison des ensembles, Babelweb...) c'est la premiere raison justifiant son refus aux demandes d'autocensure reiteree de l'uejf. : "quand l'uejf me demande d'enlever ces pages, elle me demande en fait de jouer le role qui doit etre devolu a cette autorite publique". Il ajoute que dans des cas douteux, comme celui de Costes, seul l'arbitrage du juge peut avoir valeur incontestable. Me Stephne Lilti recuse cette analyse : s'il admet que les provoders n'ont pas a exercer de controle a priori sur les informations transportees, il les tient neammoins pour responsables des lors que l'on aurait attire leur attention sur des contenus manifestement illicites. En l'absence pour le moment d'une autorite publique qui serait charger de leur recommander "de modifier ou de supprimer le contenu ou d'interrompre l'action concernee" en cas d'illiceite manifeste, Me Lilti estime "qu'a partir du moment ou un provider a connaissance d'un contenu manifestement illicite, il a le devoir de l'empecher. en l'espece, Monsieur Lacambre, en refusant d'arreter ce qui peut l'etre, ce dont il a le pouvoir, a une responsabilite. On n'a pas besoin d'une commission qui vous dise "attention ce n'est pas legal!", pour prendre conscience de ses responsabilites.
Valentin Lacambre s'en defend : selon lui, "le probleme, c'est qu'il existe un doute sur le caractere manifestement illicite de la demarche de Costes, dans la mesure ou ce dernier nie tenir des propos racistes et que de nombreux "temoins de moralite" plaident en sa faveur. si en tant que fournisseur d'hebergement, je decide de couper le contenu simplement parce que simplement il y a une demarche en ce sens, et alors meme qu'il y a un doute, cela veut dire qu'en pratique, j'exerce un role de police". Et de conclure : "Faire tenir un role de police a une entreprise privee, c'est le debut de la fin".

FAUT-IL FESSER COSTES ?
(Blake Ferris-juin 1997)

Les accusations portees contre Costes sont, entre autres choses, une demonstration de la confusion cree par l'Internet en transformant les circuits traditionnels d'information. Avant que Costes ne cree son web, sa diffusion etait limitee au milieu underground dans lequel il vendait ou echangeait ses disques et videos et se produisait sur scene. L'esprit de son oeuvre, son individualisme extreme, son humour transgressif et ses intentions derriere sa provocation etaient bien compris par ce milieu, quoiqu'il pense de la qualite de sa production. Certains le trouvaient ennuyeux et idiot mais il y avait tres peu de chance qu'on prenne ses parodies du racisme au premier degre.
En tout cas, telle fut mon experience. Bien avant que le web de Costes n'existe, j'avais vu plusieurs de ses spectacles et entendu sa musique. Connaissant le milieu underground, je n'aurais jamais pu le considerer raciste, ou considerer son art comme une incitation au racisme.
En accedant a Internet, cependant, les contours de son espace culturel ont change, et il se retrouve potentiellement en contact avec un public qui n'a pas la meme sensibilite que son public habituel, et qui ne l'aurait sans doute jamais connu sans cette nouvelle technologie. N'etant pas familier des codes de la culture underground, et ne souhaitant probablement pas les connaitre, ce qui est certainement leur droit, ces visiteurs comprennent de travers le "message" de Costes et sont choques par ce qui leur parait etre les diatribes d'un raciste fanatique.
Malgre ce fait, quiconque connaissant les createurs les plus marginaux de l'art contemporain, sait que Costes a des pairs dans le monde de l'art "officiel". Le melange de violence dramatisee, nudite, auto-destruction, musique bruyante, transgression rituelle des tabous sexuels et sociaux, et l'usage abondant de viande crue, d'excrements vrais ou faux, qui caracterisent les spectacles de Costes, rappellent les happenings provocants des annees 60, et specialement le travail d'Hermann Nitsch et Otto Muhl. Cette tradition se perpetue aux Etats-Unis chez des artistes internationalement reconnus comme Paul Mc Carthy, Johanna Went, Chris Burden et Karen Finley dont les performances utilisent systematiquement des propos ideologiquement sensibles. Aux Etats-Unis, ou les tabous dominants sont le sexe et la religion, les provocations des artistes se concentrent sur ces sujets.
En Europe, le collectif artistique slovene Neue Slowenische Kunst (NSK), a travers ses sous-groupes Irwin, la troupe de theatre Red Pilot et le groupe de rock Laibach, a fait de la parodie de la rhetorique et de l'imagerie totalitaire, la base de son travail, raison pour laquelle il a ete souvent considere (a tort) "fasciste". Comme beaucoup d'artistes, NSK - sur lequel Michael Benson a realise recemment un documentaire, "Predictions of Fire" - n'a rien fait d'autre que de manipuler les images et symboles les plus charges de sens dans son environnement, afin d'exploiter leur puissance psychologique. "L'art fasciste" survient lorsqu'un mouvement politique exploite images et symboles dans un but ideologique et politique. La demarche de NSK est a l'oppose : ils exploitent les symboles politiques et ideologiques dans un but artistique. Malgre l'usage recurrent par ce groupe des symboles nazis et stalinistes et leur ambiguite politique intentionnelle, pratiquement personne dans les milieux artistiques n'a mal interprete leur oeuvre.
Mais, une des raisons de cette absence de malentendu est le fait que NSK, ou les Activistes Viennois, sont des artistes sophistiques de culture universitaire qui ont su expliquer et theoriser leurs oeuvres au travers d'interviews et de textes dans le langage des critiques d'art; ce qui est une necessite dans le milieu de l'art contemporain pour ceux qui veulent avoir les faveurs de la Critique et obtenir des subventions. Bien que leur art puisse choquer les non-inities, ils ont su "l'emballer" dans un discours esthetique et philosophique qui les fait reconnaitre comme "artistes" et les rend acceptables.
De plus, meme si beaucoup d'entre eux ont debute dans le meme milieu underground que Costes, ils travaillent desormais avec des galeristes professionnels, sont soutenus par des critiques reconnus, et se produisent dans des lieux prestigieux, ce qui contribue a leur legitimite. Or, Costes n'a pas cette legitimite (cherche-t-il d'ailleurs a l'obtenir?). Qu'il ne le souhaite pas ou qu'il en soit incapable, toujours est-il que Costes ne parle pas le langage du milieu de l'art et ne s'est jamais positionne par rapport aux autres artistes. Il n'a que tout recemment et tres partiellement commence a s'expliquer sur son oeuvre. Tout ceci fait que, pour l'observateur non averti, Costes passe pour un dangereux monstre.
Et certainement ces gens ont de bonnes raisons d'etre choques : ses chansons semblent sans aucun doute etre des attaques racistes crues et directes. De plus, ces apparents messages racistes sont recurrents dans son oeuvre, et c'est un theme qu'il traite non seulement dans ses chansons mais dans des interviews. Il utilise dans son oeuvre les insultes raciales mais aussi des themes fondamentaux de l'ideologie raciste comme par exemple l'idee que les immigres sont des parasite profitant des aides sociales ou celle que les juifs sont des grippe-sous qui complotent contre la societe.
Mais les textes de Costes, consideres dans le contexte de son site Internet, constituent-ils vraiment un discours raciste coherent et articule, comme le suggere Franck Levy de la LICRA dans son e-mail du 16 mars 1997? Constituent-ils l'assertion d'une opinion. Peuvent-ils passer pour un propos non-artistique, un propos politique raciste?
Tout d'abord, notons que les chansons de Costes n'apparaissent pas dans un contexte politique. Aucun de ses textes n'est explicitement publie dans le but de supporter un groupe ou justifier un programme politiques. On n'y trouve aucune reference a des partis d'extreme-droite. De plus Costes lui-meme n'a jamais ete implique avec de tels groupes. On ne trouve pas plus sur son site des liens vers des sites ou des archives racistes ou neo-nazis, ou d'autres qui y sont communement associes comme les revisionnistes...Toute personne connaissant les veritables sites internet de l'extreme-droite sait que leur but premier est le proselytisme, afin de transformer des aspirations latentes en engagement politique. Sur de tels site, comme celui de "StormFront" (suprematistes blancs), on trouve toute une documentation ideologique et pseudo-scientifique qui vise a convaincre le visiteur. Le site de Costes ne comprend que ses propres oeuvres artistiques. Son but evident est de faire connaitre et de distribuer ses oeuvres, et de susciter des reactions a leur sujet. Costes ne diffuse pas des tracts racistes, ni ne fait des discours ou meme exprime des opinions personnelles. Les textes controverses, qui ont provoque l'assignation en justice par l'uejf, apparaissent dans un cadre strictement artistique. Les rares endroits ou Costes exprime ses opinions personelles sur le site ne contiennent aucune remarque raciste. Il s'exprime meme plutot pour nier toute intention raciste dans son oeuvre et pour clarifier sa position a ce sujet.
Cependant, on peut se demander si les chansons en elle-memes sont des tentatives de convaincre les autres de la validite des theses qu'elles expriment.
Parlant des sites Internet de l'extreme-droite, Lawrence Magid ecrit que "la facade raisonnable des sites racistes est, partiellement, ce qui les rend si dangereux. Si leur message etait ostensiblement repugnant, tous, a part quelques esprits malades, le jetteraient a la poubelle."
"Ostensiblement repugnant", c'est exactement ce qu'est le site de Costes, et il est difficile de le confondre avec ceux des groupes racistes. Les paroles "racistes" de chansons presentees n'ont rien a voir avec le langage code et rationalise qu'utilise en public le Front National pour cultiver son image de bonne moralite et de bon sens. rien n'est fait pour rendre sympathique ou raisonnable l'outrance de ces textes. Au contraire, l'acteur de "Livrez les blanches aux bicots" est defini comme un homosexuel raciste a l'esprit confus. Ce qui n'est pas exactement une position d'autorite morale. La langue des chansons est crue, obscene, et lie la haine raciale a la sexualite sadomasochiste. Le personnage qui chante ressemble aux nazis et hommes d'affaires peints par Georges Grosz ou Otto Dix, un individu inhumain, ronge par la maladie. Cela n'encourage pas a l'identification! Il est possible que des "esprits malades" puissent s'identifier a ce "racisme ordurier a relents scatologiques", mais ce discours n'a rien a voir avec celui que les vrais racistes tiennent en public, et il ne pourrait en aucun cas convaincre quiconque sinon les deja convaincus.
Et ceux que le ton extreme et obscene de "Livrez les blanches aux bicots" ne suffit pas a convaincre de la nature parodique de cette oeuvre, n'ont qu'a examiner le reste du site de Costes. C'est quelqu'un qui publie des photos de lui, le penis a la main, sur le sommet d'un gratte-ciel de New-York, qui se donne en spectacle nu couvert de pseudo-excrements avec des objets enfonces dans l'anus. Sa biographie ne decrit pas une jeunesse pleine de crimes imaginaires de juifs et d'arabes, mais traite avec un degout sarcastique de ses propres origines blanches. Es-ce le genre d'orateur dont le charisme et les arguments pourrait faire adherer quiconque aux theses racistes?
La reponse est evidemment non. Tout ceux qui sont capables d'entendre quelques gros mots sans faire une crise d'apoplexie, verront que Costes fait tout sur son site pour passer pour une sorte de bouffon scatologique, pas un chantre du racisme. Finalement, celui qui connait l'oeuvre de Costes dans son ensemble, sait que ses parodies racistes ne sont pas une fin en soi, mais qu'elles ne sont que partie d'une attaque generalisee contre l'ensemble des grands tabous de sa societe, qu'ils soient sociaux ou sexuels. Il y a plusieurs autres themes, a part le racisme, qui reviennent systematiquement dans l'oeuvre de Costes visant a ridiculiser en les rejouant ce qu'il estime etre des tares sociales. Il fait la satyre de la sexualite, de l'amour, de l'hygiene, de la famille, de la religion, etc... il traine dans la boue precisement les valeurs traditionelles tant respectees par la droite raciste. S'il y a un seul "message" a tirer de l'oeuvre de Costes, c'est la proclamation d'un individualisme extreme par le denigrement de toutes les valeurs sociales qui divisent les gens sur la base de la moralite, de la race, de la richesse ou des croyances. Ce message est peut-etre simpliste; mais il n'est pas raciste.
Les epithetes et slogans racistes conservent inevitablement une part de leur potentiel agressif et blessant quelque soit leur contexte. C'est vrai quand un rappeur noir chante "nigger", c'est vrai aussi quand des insultes raciales sont citees dans une cour de justice, et c'est aussi vrai quand des journaux ou des livres d'Histoire rendent compte d'evenements racistes actuels. C'est donc egalement vrai pour l'oeuvre de Costes.
Je ne veux pas pretendre que le simple fait que les insultes raciales fassent partie d'une oeuvre d'art les rend innoffensives. Les artistes utilisent des signifiants provocants dans le but d'obtenir un effet. Ceci a une justification : si la societe n'autorisait les artistes qu'a manipuler des symboles neutres, l'art perdrait tout interet. L'art doit etre provocateur et susciter la contreverse. Pas seulement au 20 eme siecle, mais tout au long de l'Histoire, beaucoup ont considere que c'etait une des vocations essentielles de l'artiste que de manipuler des symboles forts et dangereux dans un sens qui ne serait pas autorise au citoyen ordinaire.
Mais, bien qu'ils conservent une partie de leur force originelle, le fait que ces symboles soient deplaces dans un contexte artistique change fondamentalement leur signification, de la meme maniere que de les utiliser devant un tribunal ou dans un livre. L'utilisation dans un contexte artistique d'un mot ou attitude raciste fait qu'il est la fois UTILISE et CITE : on utilise son potentiel provocateur, mais en meme temps on on en fait l'objet d'une possible reflexion et prise de conscience. Dans son oeuvre, Costes utilise ce procede de multiples manieres : Tout en utilisant les insultes racistes pour leur charge emotionnelle, de la meme maniere qu'il utilise tous les tabous sociaux, il les exhibe, comme si son intention etait de faire l'inventaire, de faire surgir a la conscience, une part cachee du mal en l'homme. Ses provocations "racistes" sont un commentaire du racisme. En associant le vocabulaire raciste a ceux du sexe et de la scatologie, il suggere qu'il existe un lien entre les discours de haine, le sadomasochisme et des pulsions sexuelles infantiles. Par ses performances, il montre que certains mots et phrases sont presque des actes, et il amene a se demander comment ils peuvent avoir une telle materialite, ayant des racines quasi physiques chez leur utilisateur et un impact quasi physique sur leur destinataire.
Un autre probleme qui semble interesser Costes est de savoir comment les discours de haine servent a structurer a la fois les groupes qui les utilisent et ceux qui les recoivent, ces derniers se reappropriant ces discours pour creer leurs propres discours de haine. Il a recemment traite ce theme de maniere plus consciente dans le CD "NTMFN" ou il tourne en derision l'utilisation par les groupes minoritaires des discours de haine et de l'identification raciale, de facon similaire aux groupes racistes blancs.
Qu'on adhere ou non a ces idees, il est clair que les attitudes racistes representees dans l'oeuvre de Costes n'ont pas les memes connotations que dans la rue, meme si elles restent offensantes. C'est cette capacite qu'a l'art de multiplier les connotations de ces messages, de les tirer de leur usage haineux conventionnel afin de faire apparaitre les mecanismes sociaux et psychologiques qui les sous-tendent qui laisse a penser qu'il vaut la peine de preserver la liberte donnee a l'artiste de manipuler des materiaux sensibles et tabous. L'usage esthetique de ces materiaux est aussi un moyen de dompter les forces qui les produisent. Comme l'ecrit Judith Butler, "la possibilite de decontextualiser et de recontextualiser de tels termes par des actes radicaux de detournements publics est le fondement d'une esperance ironique que la relation conventionelle entre le mot et la blessure puisse se desserrer, voire se rompre avec le temps."
On peut retorquer que quelles que soient les nouvelles significations surgissant du fait de rejouer les attitudes racistes dans un contexte artistique, un telle pratique est reprehensible car cela fait une fois de plus circuler des messages dont une part de l'agressivite originelle reste intacte. C'est vrai que le titre du CD "Livrez les blanches aux bicots" utilise un mot raciste et par la contribue a l'institutionalisation verbale de la subordination sociale dont le mot "bicot" est l'expression. Mais il en sera de meme de la citation de ce titre devant la justice. La Cour peut certainement recontextualiser ce titre avec un sens different de celui qu'il aurait dans la rue. La Justice peut donner a ce titre le sens de la chose interdite, de la chose punissable. Mais, par le fait meme qu'elle definirait ce titre comme sanctionable, elle contribuerait a renforcer la valeur du mot "bicot" en tant que discours raciste de haine. En faisant cela, la Justice affirmerait son pouvoir d'imposer le silence tout en s'exemptant elle-meme de ce silence. Je ne veux pas dire par la que les juges sont autorises a proferer des insultes racistes, mais que l'utilisation de ces memes insultes en citation dans un jugement reste legale, alors que tous les autres usages de ces insultes en dehors du cadre judiciaire seraient illegales.
Si on deniait aux artistes la liberte d'utiliser certains symboles, et que le seul espace public ou ces symboles pourraient apparaitre serait la Cour de Justice, alors cela aurait des consequences bien au dela du monde de l'art. Mis a part le fait que l'Etat est incapable de neutraliser ou modifier le sens de ces messages autrement qu'en les interdisant, et donc, par la, renforce leur statut de discours de haine, le silence impose conduit les vrais racistes a adopter des formulations plus "polies" de leurs idees. Cela contribue donc a agrandir le lexique de la haine, tout en encourageant les racistes a apparaitre plus raisonnables, donc plus credibles. Les racistes trouvent des formes legales d'expression de leurs idees et restent parfaitement compris de leurs audiences. Le discours raciste investit une part toujours plus grande du langage et beneficie de nouveaux camouflages temporaires. C'est exactement ce qui est arrive avec le Front National, qui continue a delivrer son message raciste dans une nouvelle rethorique codee. Lorsque le code devient trop evident, l'Etat intervient a nouveau, etendant sa juridiction sur un nouvel espace du langage...et le FN ressurgira bientot avec une nouvelle rhetorique! Ainsi l'Etat accumule un index toujours plus vaste de mots interdits; les moralistes et ceux qui se sentaient a juste raison insultes sont temporairement et purement symboliquement satisfaits, tandis que le groupe politique raciste se contente de changer de vocabulaire et persite.
Quel est l'interet de tout ceci? Et comment un insignifiant artiste performer comme Costes peut-il se trouver inculpe dans un pays ou un parti politique ouvertement raciste avec d'assez evidentes sympathies politiques pour le fascisme allemand est une entreprise legitime avec 15% du vote populaire?!?!
L'emotion du plaignant peut etre comprehensible, mais ce proces est ridicule. C'est comme si, au pire de la chasse aux sorcieres Macarthiste aux Etats-Unis, le gouvernement avait limite l'utilisation de l'encre rouge par les artistes! La liberte des artistes dans une societe libre signifie la liberte d'utiliser tous les materiaux disponibles pour creer leurs oeuvres, de la maniere qui leur convient, du moment que cela ne lese pas directement les droits d'autrui. Et cela sans avoir a clarifier leur position au-dela de celle induite par l'oeuvre elle-meme. Malheureusement, quand les artistes sont autorises a manipuler certains symboles par les autorites qui controlent la censure, cela veut habituellement dire que ces symboles ont perdu leur importance. Mais l'art a souvent ete le lieu de la contreverse et beaucoup d'artistes pensent que susciter la polemique, bouculer les opinions conventionnelles, ou utiliser des symboles forts de maniere a susciter la desaprobation publique, fait partie de leur role social. La societe occidentale accepte generalement ce point de vue, et condamne unanimement des actes comme la fatwa lancee contre l'ecrivain Salman Rushdie comme un incomprehensible acte barbare. Mais, quand on touche a ses propres symboles sacres , ou lorsque des symboles frappes d'une interdiction tout aussi sacree deviennentle sujet d'une oeuvre d'art, la reaction n'est plus aussi coherente.
Peut-etre simplement du fait que je suis americain et ne peut apprecier pleinement la proximite geographique et historique de le France avec la Shoah, je tend a considerer que pour tous, y compris le FN, la liberte d'expression devrait etre entiere. Je pense que, meme dans les cas reels de racisme, les mots devraient etre combattus avec les mots, et non pas interdits. Pas seulement parce que la liberte d'expression est un droit democratique fondamental, mais aussi parce que l'interdiction est peu efficace dans les questionss ideologiques. D'un autre cote, meme lorque les discours racistes sont interdits, je crois qu'une grande liberte devrait etre laissee aux artistes, non seulement parce que leur travail est souvent ambigu et ne peut etre interprete de la meme facon que le discours politique, mais aussi parce que leur role dans la societe est de reveler dans leur oeuvre des choses peu visibles dans la vie quotidienne, et menacer cette occasion de VOIR, meme pour de bonnes raisons, aurait, me semble-t-il, de funestes consequences.

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