COSTES
Interviews en francais


INTERVIEW DE SOPHIE POUR "LECTURE ALEATOIRE"
juillet 1996

- Sophie : peux tu nous parler de tes débuts en tant que musicien?
- Costes : C'etait assez tard en fait, au lycée, vers mes 18 ans. Je jouais dans un groupe de rock qui n'avait rien à voir avec ce que je fais maintenant, un groupe on ne peut plus banal. C'était juste pour jouer avec des amis, il n'y avait aucune intention avant-gardiste. On faisait des reprises de rock, de boogie, de hard rock. On changeait de style selon les modes. Je faisais des claviers et un peu de guitare...Au bout d'un moment j'ai commence à m'interesser à des musiques plus bizarres, à bidouiller, mais c'était en dehors du groupe.
Ca a duré un petit moment, l'aspect bidouillage prenant de plus en plus le pas sans que je puisse l'utiliser avec les gens avec qui je jouais. Plus je jouais bizarrement des claviers, moins ils voulaient de moi dans le groupe! Puis, au début des annees 80, il a commencé à sortir des magnétophones multipistes à des prix accessibles. Avant il fallait faire ses maquettes dans un studio, c'était toute une organisation, ca limitait la créativité. Aujourd'hui beaucoup de groupes continuent a faire des maquettes en studio mais ce sont des attardés! Je me demande mëme pourquoi les gens continuent a jouer en groupe alors qu'ils pourraient tout faire tout seul!
Donc j'ai acheté un de ces magnétos 4 pistes à bande, et très rapidement, en travaillant seul, j'ai derivé vers un style très personnel, avec des methodes de travail et d'enregistrement qui me sont propres. J'ai enfin pu synthétiser dans mes chansons mes influences pop et avant-gardistes, mixant bruitages, paroles, rythmes et mélodies. C'était une évolution originale à l'époque car soit tu faisais du bruit avant-gardiste et tu ne parlais plus (tu poussais juste des cris!),genre industriel, soit tu faisais du rock en restant dans les limites du genre. Si tu cassais le rythme,c'était plus du rock; a l'inverse si tu sortais des phrases intelligibles, racontais une histoire sur du bruit, c'était "interdit" aussi! Fallait pas mélanger les genres. Mais comme j'étais attire à la fois par les deux tendances de la musique, la "radicale" et la "commerciale", j'ai fini par faire la synthèse des deux, grace au materiel multipiste semi-pro, car dans un groupe, je n'aurais jamais pu imposer des idées aussi à contre-courant que de faire de la pop bruyante ou de la chanson industrielle! Mon style c'est ca : un mix de Paul Mac Cartney, d'industriel et de free-jazz, plus des influences de tout ce que je peux entendre, du rap à la techno, n'importe quoi qui passe à la télé ou au supermarché. Et si beaucoup de gens haissent mon style je crois que c'est parce qu'ils se sentent mal servis, trahis des deux cotés; les uns parce que je massacre la pop, les autres parce que je ringardise l'avant-garde!
Au début je n'arrivais pas trop à chanter en m'enregistrant parce que j'écrivais des textes qui tombaient dans les quatre temps et dès que j'en sortais, je bloquais. Au bout d'un moment j'ai réussi à trouver le truc, à me débloquer, à chanter en "surfant" sur le bruit, en appuyant ma voix sur les micro-mélodies sous jacentes à tout bruit. J'arrive désormais à faire de la chanson à la Cabrel dans le sens du feeling, et à croiser ca avec des musiques bruyantes et destructurées. Mon premier disque vinyl sorti en 1986 comprend les premières chansons faites dans ce style, disons le style "Costes"!(en fait il y a quelques chansons enregistrees dans ce style en 1985, et je les sortirai peut-etre un jour sur une compil)
Je me souviens encore precisement de la premiere chanson que j'ai reussi à faire ainsi en improvisant le texte sur une impro musicale "debraillee", laissant ma voix et mon inspiration portees par la musique, melodie et sens evoluant en fonction des variations du son. Ce fut une telle revelation pour moi d'arriver a ce resultat, a cette synthese pop-bruit, une telle jouissance que je me souviens encore tres bien de ce moment et de ce morceau. D'ailleurs a l'epoque je croyais que n'arriverai jamais plus a refaire un tel morceau. Je n'ai d'ailleurs pas reussi pendant plusieurs mois a en refaire un autre ainsi, revenant soit a des experimentations plus confuses, soit a des chansons plus carrees. A ce moment je ne me rendais pas compte que ce n'etait que le debut, que je referais des milliers de chanson dans le genre!
La musique que j'ai enregistre avant d'aboutir a cette "decouverte" je ne veux pas la diffuser, car elle n'est pas vraiment originale; disons qu'elle n'est pas specifiquement de moi, d'autres on pu faire pareil et mieux dans le genre bidouillage bruyant. Je prefere diffuser et continuer a explorer la voie musicale qui m'est propre, meme si certains pourraient considerer que je me repete; pour moi il s'agit d'un univers musical aux richesses illimitees et je ne me lasserai jamais de l'explorer. Il existe certes d'autres planetes que la Terre, mais un explorateur peut passer sa vie a explorer juste la Terre et etre comble. J'ai trouve mon propre langage, et je veut le developper le plus possible, explorer toutes ses possibilites, aller jusqu'a ses limites.
Evidemment, au depart, ma musique a tellement deplu que je n'avais aucune possibilite de toucher un public ou de communiquer avec d'autres musiciens. A l'instar de ma solitude privee, ma solitude artistique etait totale. Afin de tenter de me faire connaitre, je donnais des cassettes gratuites de mes chansons au public dans les concerts des autres. J'envoyais aussi des morceaux pour des compilations sur cassette dans le reseau mail-art mais elle etaient toujours refusees. Mais paradoxalement, justement parce que ma musique etait tellement haie, j'ai commence a avoir une reputation! : "Costes,le tare qui fait la musique la plus nulle que j'ai jamais entendu". Et ces connards branches de l'industriel alors dominant faisaient ecouter ma musique a leurs potes pour se foutre de ma gueule, sans se rendre compte qu'ainsi il repandaient mon nom et mon style!!! Ce qui fait que des la fin des annees 80, tout le monde dans l'underground connaissait Costes comme le pire des nuls, l'objet de toutes les risees certes, mais ma reputation etait deja bien etablie...Puis peu a peu des gens on commence a apprecier, des gens a gauche a droite, rares et disperses dans le monde qui se sentaient des affinites avec mes sons et mes textes. Comme quoi, quand on fait quelquechose 100% a sa facon il y a toujours quelquepart des gens pour l'apprecier; meme le plus solitaire et etrange des hommes a quelque part un frere jumeau : un autre solitaire tres etrange parmi les siens mais proche de moi au loin.
- Sophie : Tu ecoutes quoi comme musique?
- Costes : Je n'ecoute rien assidument, j'ecoute tout une fois pour me tenir au courant de ce qui se passe, par curiosite, pour piquer des idees, mais je n'ecoute pas de la musique sans arret, j'ai les oreilles deja assez satureees mar mes propres productions et donc pas trop envie d'ecouter le bruit des autres apres des heures passees a produire le mien.
Je n'ecoute meme pas ma propre musique, ca m'ennuie, ca me fatigue, et surtout ca m'inquiete, ca me deprime, car j'ai toujours tendance a me croire mauvais; je n'arrive pas a me juger objectivement. Ca me parait atrocement mauvais et j'evite, comme j'evite toujours de me regarder dans les miroirs car je ne supporte pas mon image...
- Sophie : Mais avant, tu ecoutais de la musique?
- Costes : J'ecoutais ce que tout le monde ecoutait, rien de special, des tubes, de la pop, les musiques a la mode, grand public, je ne connaissais rien des scenes alternatives; en fait j'ai commence mon style de musique sans savoir que d'autres que moi produisaient par eux meme des musiques personnelles en dehors des sentiers battus; je me croyais presque un fou musical, un anormal a produire des trucs aussi bizarres car j'ignorais l'existence d'autres musiques originales. C'etait presque de l'art brut, de l'art naif!!!
Mais je m'interesse toujours, bien que de loin a ce qui se passe actuellement. Ainsi j'aime bien la techno hard-core, j'admire l'habilete des constructions rythmique,la virtuosite des superpositions. Et ca m'amuse de constater a quel point des musiques comme la techno (ou le rap) qui sont fabriquees avec des moyens tres proches des miens (plus d'orchestre, echantillonage, bidouillage, voix rajoutee en multipiste...) sonnent tellement differemment de la mienne. C'est stupefiant : j'ai le meme materiel qu'un dj de rap ou de techno et pourtant je produis tout autre chose. Commme quoi le materiel ne fait pas forcement le style, meme dans des musiques tres machiniques et construites comme des collages en studio. Un difference essentielle entre moi et la techno comme d'ailleurs entre moi et toutes les musiques nouvelles est que je continue a privilegier l'individu, la personalite du chanteur, a la mettre en avant comme dans la chanson traditionnele, la pop, la variete le rock; je garde ce vieux feeling, la presence centrale du chanteur, du performer, et je le plaque sur des musiques reputees robotiques et aseptisees. En fait je peux utiliser n'importe quel fond musical et plaquer ma voix dessus et ca devient du pur Costes car ce qui compte au final c'est comment je mele ma voix a la musique, les interferences de ma voix et du sens du texte avec l'evolution sonore. C'est un son unique car ma personalite, ma facon de reagir au son, les images que le son provoque dans ma tete, les sensations, sont uniques. C'est personnel car c'est fondamentalement la musique d'une personne, une sensibilite musicale prise sur le vif, captee sur la bande magnetique, inimitable car ne correspondant qu'a mes emotions propres et passageres; c'est pourquoi "Costes" ne peux etre le debut d'un mouvement, ca ne peut rester qu'un cas a part, a la limite une anomalie dans un monde de la creation regit par les phenomenes de masse et de mode (meme dans l'underground il existe des micros modes pour branches!?) et etre en dehors des sentiers battus ca sonne forcement bizarre dans l'ambiance conventionnelle generale.
- Sophie : Alors peut etre as tu des influences en dehors de la musique?
- Costes : Effectivement, les influences sur ma musique sont surtout en dehors : c'est la vie en general qui m'influence. Je reagis directement a ce qui m'arrive. Si j'ai un probleme personnel, ca va faire un bon morceau! Enregistrer une chanson pour exprimer ma reaction du moment a l'evenement me soulage, me tranquillise. Ainsi meme l'evenement le plus douloureux comme la mort d'un etre proche ou une rupture sentimentale peut finir par me faire plaisir une fois exprime en musique; j'ecoute toutes mes peurs, mes haines, douleurs, et je trouve ca beau, car je trouve que ca donne une extraordinaire intensite a l'inspiration et a l'interpretation, une force qui n'existerait pas sans la douleur ou l'angoisse qui m'a pousse a me "refugier" dans la musique. C'est paradoxal et atroce en un sens d'utiliser sa souffrance pour creer, mais pour moi c'est le moteur essentiel.
Je suis aussi tres influence par les grands evenements collectifs, tels qu'ils nous sont exposes a la television. A cote de ma vie privee, ma seconde et inepuisable source d'inspiration c'est...le journal de 20 heures! Il va toujours se passer quelquechose d'imprevu, d'extraordinaire, de violent, qui nous sort du quotidien; les journalistes assurent a fond pour chaque jour degoter des drames sociaux et des polemeiques prise de tete tous plus enormes les uns que les autres, et ca m'inspire beaucoup, le grand roman social et politique des infos, pour moi c'est mille fois plus fascinant et evadant que toutes les fictions, films ou fiction, pour moi bien moins fantastiques que la "realite" des informations televisees.
Je suis aussi influence par la litterature, certains livres me marquent et influencent ma pensee, plus au niveau de la maniere de penser, de la philosophie qui s'en degage qu'au niveau des trames romanesques. J'ai aussi beaucoup voyage avant de faire du "Costes" et ca influence beaucoup, en arriere plan, ma musique et mes textes.
- Sophie : Y a t il un but dans ce que tu fais?
- Costes : Au depart je n'ai aucun but. J'ai ete happe dans un hobby. Je me fais chier en groupe, les relations avec les autres sont pesantes et difficilles, je n'ai pas d'ami (rarement une petite amie) et la musique est mon refuge. Un refuge qui a force de developpements et d'amenagements est devenu un univers ou je me plais!
Controler son univers, le construire, c'est agreable, rassurant et valorisant et ca devient peu a peu un but car quand je quitte mon monde de creation, le reste du monde, l'autre monde (le vari?) me parait fade, ennuyeux, moins intense que le mien et j'y retourne pas pour m'y refugier mais pour m'y amuser! parce que je m'y sens bien et ...riche!
Mais evidemment au fur et a mesure du temps je finis par m'apercevoir avec etonnement de mon impact sur les autres et de cette maniere mon monde finit par s'ouvrir sur les autres : je cree pour moi et pour d'autres que je sais vivre dans des mondes personnels proches du mien : je chante pour moi tout seul mais je chante aussi pour eux que je fantasme entrain de m'ecouter, comme un public virtuel, fantomatique, un peuple sans visages a qui je crois m'adresser quand je chante; maintenant que je sais que des gens apprecient ma musique, je m'adresse a eux quand je chante, ce sont mes juges dans mon imagination, mes juges bienveillants et comprehensifs; c'est la "sainte communion des solitaires"!
- Sophie : Et les concerts?
- Costes : Ne pouvant trouver d'organisateurs acceptant de me programmer, j'ai loue moi-meme des salles au debut pour mes shows. Les shows sont totalement differents des enregistrements : musiques, chansons, tout est different. Car les spectacles sont concus comme des comedies musicales dans la forme; il y a une histoire autour de laquelle s'organise les chansons et les actions, avec des eclairages, des costumes et des decors. Ce qui est different de la comedie musicale traditionnele, c'est la forme : evidemment la musique bizrre, mais aussi l'interpretation tres survoltee et violente, comme si la vie entiere etait concentree en une heure, avec tous ses drames et des sentiments contradictoires. C'est tres spectaculaire, les spectateurs en prennent plein la gueuele, car tout est tres explicite avec nudite et actes obscenes simules sur scene; pas de distanciation poetique, c'est carrement expose brutalement; l'humanite mise a nue, exposee la devant les yeux de tous, tous les secrets, toutes les hontes, toutes les peurs et haines rentrees. C'est eprouvant a la fois pour les acteurs et les spectateurs; on se donne a fond. Ce qui fait que la reputation de mes spectacles a ete vite faite et que j'attire de plus en plus de spectateurs. Beaucoup de gens d'ailleurs preferent les spectacles aux enregistrements; ils n'aiment pas la musique mais ils apprecient l'impression intense d'apocalypse, le fait qu'on soit toujours limite, prets apparemment a basculer a tout instant dans le chaos; mais de fait tout est calcule, repete, meme si ca parait totalement bordelique a premiere vue. Les gens qui viennent d'autres milieux musicaux apprecient quand meme car ils savent qu'ils ne vont pas se faire chier. Tout va tres vite; ca change toute les 15 secondes; ca les amuse au moins meme si pour certains, ca ne les touche pas profondement, au moins ca les choque, ca les remue. Aussi je peux desormais etre programme sans difficulte, dans le reseau underground uniquement mais un peu partout en Europe, aux usa et au japon, et meme maintenant a taiwan.
- Sophie : et les videos?
- Costes : Tout d'abord des gens se sont interessés a filmer mes shows a cause de l'aspect spectaculaire qui rend bien en video; il y a quelquechose a voir donc quelquechose a filmer! Les premieres videos sont donc des videos live. Tous les spectacles sont sur video.
Ensuite j'ai achete mon propre camescope et commencé a faire des films et des clips. Des petits films sans moyens technique ni argent, mais je compense par les idées et les emotions, et ce coté mal abouti, baclé de la production, genre amateur maniaque fou a son charme! Je sors environ un film et deux vidéos de spectacles par an.



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